L'hydrogène bleu peut protéger le climat

Un groupe international de chercheurs sous la direction de l'Institut Paul Scherrer et de l'Université Heriot Watt a analysé en profondeur les effets climatiques de ce qu'on appelle l'hydrogène bleu. Il est produit à partir du gaz naturel, les émissions de CO2 qui en résultent étant captées et stockées. L'étude montre que, sous certaines conditions, l'hydrogène bleu peut jouer un rôle positif dans la transition énergétique.

Christian Bauer étudie au PSI l'efficacité avec laquelle différentes sources d'énergie peuvent être utilisées pour un approvisionnement durable. Photo : PSI, Mahir Dzambegovic

L'hydrogène est considéré comme le vecteur d'énergie de l'avenir, car son utilisation - que ce soit pour la propulsion d'une voiture ou pour la production de chaleur dans les ménages et l'industrie - ne produit que de l'eau. Mais la question de savoir si l'hydrogène est vraiment respectueux du climat dépend de la manière dont il est produit. Le cas idéal est celui de l'hydrogène dit vert. Il est produit par électrolyse à partir d'eau et l'électricité utilisée provient exclusivement d'énergies renouvelables telles que l'énergie hydraulique, éolienne et solaire. Il est donc en grande partie neutre pour le climat. Mais actuellement, l'hydrogène produit de cette manière est cher et n'est pas disponible partout, car l'électricité renouvelable et les capacités d'électrolyse font défaut.

"La demande en hydrogène, qui augmente rapidement, ne pourra donc probablement pas être couverte dans un avenir prévisible", peut-on lire dans l'étude internationale actuelle. La majeure partie de l'hydrogène est aujourd'hui produite à partir de gaz naturel ou d'autres combustibles fossiles. On le qualifie d'"hydrogène gris". Mais il n'apporte aucun avantage dans le bilan écologique, car sa production pollue le climat et de l'énergie est perdue lors de sa transformation.

L'hydrogène dit bleu, dont le rôle possible dans la transition énergétique fait l'objet de discussions intenses entre les spécialistes et les politiques depuis des mois, représente une sorte de compromis. Comme l'hydrogène gris, il est certes produit à partir de gaz naturel, en le chauffant puis en le décomposant en hydrogène et en dioxyde de carbone par un procédé appelé "vaporeformage". Mais dans ce cas, on ne laisse pas simplement le dioxyde de carbone s'échapper dans l'atmosphère, on en sépare une partie et on la stocke durablement sous terre afin de réduire l'effet de serre. C'est ce qu'on appelle le captage et le stockage du carbone ou CCS. Cela améliore le bilan climatique.

Les fuites réduisent le bilan climatique

Une étude publiée en août par des chercheurs des universités américaines de Cornell et de Stanford a toutefois conclu que l'hydrogène bleu utilisé pour la production de chaleur n'était pas meilleur pour le climat malgré le CSC, et qu'il était même en fin de compte 20 pour cent moins bon que le gaz naturel utilisé directement comme source d'énergie. Selon les auteurs, cela est principalement dû au fait que du gaz s'échappe dans l'air par des fuites tout au long de la chaîne d'approvisionnement du gaz naturel, depuis son extraction dans le puits de forage jusqu'à la production d'hydrogène, en passant par son transport par pipeline ou par bateau. Comme le gaz naturel, ou plutôt son principal composant, le méthane, a un effet de serre environ 30 fois plus important que le CO2, des fuites de quelques pour cent peuvent déjà ternir énormément le bilan climatique de l'hydrogène qui en est issu. A cela s'ajoutent les émissions de CO2 lors du reformage du gaz naturel, lorsque tout le dioxyde de carbone n'est pas capté et qu'une partie se retrouve dans l'atmosphère au lieu d'être enterrée.

"Cette étude a été pour nous l'occasion d'analyser encore plus précisément l'effet de l'hydrogène bleu sur le climat", explique Christian Bauer, du laboratoire d'analyse des systèmes énergétiques de l'Institut Paul Scherrer (PSI), auteur principal de l'étude actuelle. En collaboration avec Mijndert van der Spek, professeur au centre de recherche sur les solutions carbone de l'université Heriot-Watt, Bauer a rapidement mis en place une coopération internationale de chercheurs issus des instituts les plus divers afin de donner une large assise à la nouvelle étude. La collaboration a été particulièrement étroite avec des collègues de l'ETH Zurich, qui disposent de modèles spéciaux leur permettant de simuler en détail des processus tels que la capture du CO2. "Ils ont fait passer la production d'hydrogène bleu par leur logiciel de simulation, et nous, au PSI, avons intégré les résultats dans nos modèles d'écobilan", rapporte Bauer. "Ceux-ci reproduisent l'ensemble de la chaîne de production, de l'extraction du gaz naturel au stockage du CO2".

Les résultats de l'écobilan dressent un tableau nuancé : le fait que l'hydrogène bleu soit bénéfique pour le climat dépend donc très fortement de la quantité de méthane perdue sur le trajet entre l'extraction du gaz naturel et la production de l'hydrogène, ainsi que de l'efficacité du captage du CO2 lors du reformage du gaz naturel. "Les émissions de méthane sont très diffuses, car elles peuvent se produire à de nombreux points différents de la chaîne de production", explique Bauer. "Elles sont donc difficiles à déterminer. Selon la technique d'extraction et le pays d'où provient le gaz naturel, elles varient de quelques dixièmes de pour cent à quelques pourcents". Et en ce qui concerne le captage du CO2, certains procédés permettent de capturer et de stocker la quasi-totalité du CO2 produit. D'autres ne parviennent qu'à la moitié. "Les technologies modernes de capture du CO2 permettent de capturer pratiquement tout le CO2 généré par la production d'hydrogène", explique van der Spek. L'hydrogène bleu pourrait ainsi jouer un rôle clé dans la transition vers une société neutre en carbone.

La clé réside dans un niveau technique élevé

La clé pour obtenir de l'hydrogène bleu qui profite vraiment au climat est donc d'être très exigeant sur la technique : "Des pays comme la Norvège peuvent servir de modèles", dit Bauer. Ceux-ci extraient et transportent déjà aujourd'hui le gaz naturel presque sans pertes, avec des émissions inférieures à 0,5 pour cent. Si, lors du reformage du gaz naturel, la quasi-totalité des émissions de CO2 est captée et stockée dans d'anciens gisements de gaz naturel en mer du Nord - ce qui a fait ses preuves depuis de nombreuses années en termes d'efficacité et de sécurité -, alors cet hydrogène bleu est presque aussi respectueux du climat que l'hydrogène vert.

Le chercheur du PSI souligne que ses collègues américains n'ont pas forcément fait de mauvais calculs. "Ils ont simplement considéré de manière assez unilatérale le côté négatif du spectre, comment la production d'hydrogène bleu peut se dérouler. Nous, au contraire, nous montrons : Si l'on s'y prend bien, il apporte une contribution tout à fait précieuse à la transition énergétique". Il pourrait au moins être une sorte de solution transitoire jusqu'à ce que l'hydrogène vert soit disponible à grande échelle et à un prix avantageux. "Il est possible que les besoins croissants nécessitent que les deux formes soient utilisées de manière complémentaire pendant une période prolongée", ajoute Bauer.

L'industrie du gaz naturel a déjà reconnu que seule une production aussi exempte d'émissions que possible peut assurer sa pérennité. Elle s'est fixé pour objectif d'amener la technique à l'échelle mondiale à un standard qui autorise au maximum 0,2 pour cent d'émissions de méthane. Au niveau politique, on discute de valeurs seuils en dessous desquelles l'hydrogène bleu peut être considéré comme pauvre en carbone et donc respectueux du climat. "Il est important qu'une telle valeur tienne vraiment compte des émissions tout au long de la chaîne", explique Bauer. Des facteurs décisifs ne doivent pas être occultés lors de l'établissement du bilan.

Publication originale : "On the climate impacts of blue hydrogen production",Christian Bauer, Karin Treyer, Cristina Antonini, Joule Bergerson, Matteo Gazzani, Emre Gencer, Jon Gibbins, Marco Mazzotti, Sean T. McCoy, Russell McKenna, Robert Pietzcker, Arvind P. Ravikumar, Matteo C. Romano, Falko Ueckerdt, Jaap Vente, Mijndert van der Spek, Sustainable Energy & Fuels, 19.11.2021, DOI : https://dx.doi.org/10.1039/D1SE01508G

 

Nomenclature de l'hydrogène

Dans le secteur de l'énergie, l'hydrogène reçoit différents noms en fonction de la manière dont il est produit. Voici la "théorie des couleurs" la plus courante :

Hydrogène vert : Fabriqué avec de l'électricité issue de sources d'énergie renouvelables

Turquoise : Produit par pyrolyse du méthane : le gaz naturel est décomposé thermiquement en hydrogène et en carbone solide.

Orange/jaune : Fabriqué à partir de matières organiques telles que la biomasse, le biogaz et le biométhane

Violet/rouge : Fabriqué avec de l'électricité d'origine nucléaire

Bleu Produit à partir de gaz naturel avec captage et stockage géologique du dioxyde de carbone

Blanc : Hydrogène d'origine naturelle

Gris : Fabriqué à partir de gaz naturel (le terme "gris" englobe souvent toutes les sources d'énergie fossiles)

Marron : à partir de lignite

Noir : à partir de la houille

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