"Nous devons dépasser le dogme du temps de travail"
Dans de nombreuses entreprises, le travail à temps partiel est encore considéré comme un "frein à la carrière", voire un "tueur de carrière" - pour les femmes comme pour les hommes. Et cela est particulièrement vrai pour les postes de direction. Pourtant, le travail à temps partiel recèle un grand potentiel, surtout si l'on considère la menace de pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Matthias Mölleney parle du changement de paradigme nécessaire à cet effet.
"Il y a cependant un groupe de travailleurs qui est encore plus discriminé : Les hommes qui veulent travailler à temps partiel".
Après des années d'expérience de direction chez Swissair et dans d'autres groupes internationaux, Matthias Mölleney s'est mis à son compte en 2006 avec sa femme Regine. Aujourd'hui, il est conseiller en entreprise, professeur et, entre autres, président de la ZGP Zürcher Gesellschaft für Personalmanagement. Dans cette interview, il se prononce résolument en faveur d'un changement culturel dans le monde de l'entreprise - notamment en augmentant le travail à temps partiel dans les postes de direction.
Monsieur Mölleney, le travail à temps partiel est en constante augmentation en Suisse. Toutefois, lorsqu'il s'agit de postes de direction, le scepticisme prévaut encore. Comment évaluez-vous le potentiel ?
Cela aussi viendra, j'en suis sûr. Mais nous devons d'abord nous pencher sur la notion de "temps partiel". En effet, le terme "temps partiel" évoque toujours quelque chose d'inférieur, comme si l'on ne s'investissait pas pleinement. À tel point que les contrats de travail mentionnent certes le temps de travail, mais ne mentionnent généralement pas les objectifs du travail. Nous devons surmonter ce dogme du temps de travail.
Comment vous imaginez-vous cela ? Le temps n'est-il pas central dans l'organisation du travail ?
Il existe bien sûr des professions où le temps de travail en dit long sur les performances. Lorsque les chauffeurs de tramway travaillent huit heures, ils en font manifestement deux fois plus que lorsqu'ils sont en route pendant quatre heures. Mais lorsque des journalistes travaillent huit heures au lieu de quatre sur un article, celui-ci est rarement deux fois meilleur. Et il en va de même dans de nombreuses professions, de la recherche à la gestion de projet.
Selon vous, le travail à temps partiel est-il réalisable dans tous les secteurs et toutes les fonctions ?
Voyez-vous, plus on monte dans une organisation, moins on travaille à plein temps au sens classique du terme. Les uns ont en plus leurs mandats de CA, les autres leurs missions d'enseignement, et tout cela est parfaitement accepté. Si quelqu'un réduit son temps de travail pour passer du temps avec sa famille en plus de son activité de direction, cela est toujours considéré comme un problème. Mais partout où l'on peut adapter le temps de travail de manière à ce qu'il soit par exemple compatible avec les mandats de CA, le travail à temps partiel est également possible.
Comment le travail devrait-il être mieux organisé ?
J'ai pu jeter un coup d'œil sur l'avenir du monde du travail au ministère belge de la Sécurité sociale - justement ! Là-bas, dans un environnement d'activités administratives typiques, on a réussi en quelques années à augmenter considérablement la satisfaction du travail et des clients ainsi que la productivité. Pour ce faire, on a convenu avec les collaborateurs d'un certain nombre de cas à traiter, mesuré en termes de qualité, de quantité et de satisfaction des clients, plutôt que d'horaires de travail. Les équipes s'organisent en grande partie elles-mêmes. Comme tout est numérisé, ils peuvent travailler où ils veulent. Et les supérieurs ? Ils s'occupent des tâches supérieures, comme la garantie du flux d'informations ou la mise en réseau. Et d'ailleurs, c'est grâce à cela que ce ministère est passé de la dernière place sur la liste des employeurs attractifs à la première.
Selon une étude récente, la Suisse occupe la quatrième et dernière place en ce qui concerne la proportion de femmes occupant des postes à responsabilité. Cela s'explique-t-il par la différence particulièrement élevée en Suisse entre le pourcentage de femmes (60%) et d'hommes (16%) travaillant à temps partiel ?
Cela fait des années que nous discutons de la discrimination salariale envers les femmes. Il existe toutefois un groupe de travailleurs qui sont encore plus discriminés : Les hommes qui veulent travailler à temps partiel. Souvent, ils ne le peuvent pas, et encore moins s'ils occupent un poste de direction. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il ne s'agit pas, à mon avis, de promouvoir les femmes ou les hommes. Une étude très récente de l'université de Saint-Gall montre que l'environnement est décisif - est-il dominé par les hommes ou par les femmes ? Les hommes ou les femmes sont favorisés en conséquence. Et en Suisse, nous avons traditionnellement des industries dominées par les hommes, ce qui ne va pas changer dans un avenir proche. C'est pourquoi nous avons besoin de toute urgence d'un débat sur ce sujet dans notre société, bien au-delà des quotas.
Que doivent faire les entreprises pour rester des employeurs attractifs à l'avenir ?
Si Yahoo a récemment supprimé la possibilité de travailler à domicile parce que les collaborateurs doivent être physiquement présents, cela peut fonctionner pour Yahoo, mais pas forcément pour les autres. Les entreprises doivent donc toujours se demander qui est leur groupe cible. Et comment elles peuvent se différencier des autres entreprises en tant qu'employeurs. Le travail à temps partiel constitue à cet égard un élément central.
Quels sont les exemples de réussite que vous pourriez citer ?
Des grandes entreprises établies aux jeunes start-ups inventives, le temps partiel est déjà utilisé dans les postes de direction. Récemment, j'ai également aidé la police cantonale de Thurgovie à résoudre son problème de relève. Le scepticisme était grand à l'égard du travail à temps partiel dans cette profession qui exige une disponibilité constante. En même temps, l'expérience montre clairement que les patrouilles mixtes d'hommes et de femmes ont plus de succès - mais auparavant, elles demandaient toujours en vain un temps partiel. Aujourd'hui, le temps partiel est proposé et l'écho est très positif.
Source et informations complémentaires : www.familienfreundliches-basel.ch